Analyse architecturale de l’édifice
situé au 2330, rue Sherbrooke Ouest, Montréal

Par Marie-Josée Morin et Élise Thierry
Photos : Josée Sarrazin et Samantha Etane


Date de construction : 1911-1913
Architectes : Marchand & Haskell
Entrepreneurs : Martineau et Prénoveau

 

Photo de l’édifice en 1913

Situé au 2330, rue Sherbrooke Ouest, cet édifice construit pour héberger la section des filles de l’École normale Jacques-Cartier (rebaptisée École normale Notre-Dame-de-Montréal en 1957) constitue un bel exemple du style Beaux-Arts en architecture à Montréal. Il abrite aujourd’hui la huitième Maison mère de la Congrégation de Notre-Dame.

Le style architectural Beaux-Arts

L’édifice a été conçu par le cabinet d’architecture Marchand & Haskell, formé du Montréalais Jean-Omer Marchand et de l’Américain Samuel Stevens Haskell. Jean-Omer Marchand a joué un rôle important dans l’architecture de Montréal. Il est le premier architecte canadien di­plômé de l’École supérieure des Beaux-Arts de Paris. À son retour en 1902, il rompt avec la monotonie de l’utilisation de la pierre grise et introduit la brique jaune Kittaning à Montréal. Il va concevoir plus d’une centaine d’édifices dans tous les coins du Canada.

 

La bibliothèque Saint-Sulpice (aujourd'hui BAnQ). Année : 1936. © Ville de Montréal, Gestion des documents et archives, Z-176

Le style Beaux-Arts a fait sa première apparition d'importance au Canada sous la forme de l'édifice de l'Assemblée législative de l'Ontario (1886-1892) construit par Richard Waite. À Montréal, c’est la bibliothèque Saint-Sulpice, construite en 1914 sur la rue Saint-Denis, qui est reconnue comme un chef d’œuvre de ce style architectural. Celui-ci se caractérise par la réfé­rence plus ou moins explicite à un ensemble de styles passés reconnus comme compatibles, comme le néoclassique, le néorenaissance ou le néobaroque, avec une tendance constante à rechercher un équilibre des volumes inspiré du style louis-quatorzien. La symbolique déco­ra­tive renvoie souvent à l'imagerie gréco-latine. La profusion des détails architecturaux en est également typique : balustrades, statues, colonnes, guirlandes, pilastres, grands escaliers, larges arches. La polychromie est souvent présente dans le décor des façades.

 

Numérisation du plan

L’École normale quant à elle est d’une superficie de 81 978 pieds carrés ; elle a été construite au centre d’un terrain de 88 591 pieds carrés situé entre la rue Sherbrooke Ouest au nord et l’avenue Lincoln (jadis rue Comte) au sud, et entre l’avenue Atwater à l’ouest et l’avenue Lambert Closse à l’est. L’édifice mesure 196 pieds de longueur sur 131 de profondeur et culmine à 56,7 pieds au-dessus du niveau de la rue Sherbrooke. Il comporte un sous-sol, un rez-de-chaussée et deux étages.

 

De façon générale, les communautés religieuses favo­ri­saient le style néoroman, car il évoquait les édifices con­ven­tuels du Moyen-Âge. Aussi le plan très symétrique, en forme de U, constitué d’un corps de bâtiment principal de 116 pieds sur 51 et de deux ailes perpendiculaires de 40 pieds sur 131, constitue une belle originalité, tout comme la façade claire dessinée par Marchand.

L’aspect général du bâtiment est assez simple et peu orné par rapport aux deux autres bâti­ments conçus par Marchand pour la Congrégation : la sixième Maison mère (édifice main­tenant occupé par le collège Dawson) et l’Institut pédagogique (l’édifice, qui a accueilli la septième Maison mère de 1985 à 2005, abrite maintenant le collège Marianopolis). Dans le cas du bâtiment qui nous intéresse, il a privilégié la symétrie parfaite pour les quatre faces, et chacune a reçu un traitement architectonique très poussé.

 

Travaux de construction de la 6e Maison mère
 

 

Institut pédagogique (édifice qui a accueilli la 7e Maison mère)

La façade comporte une entrée centrale. De grosses volutes à motifs végétaux taillées dans la pierre ferment l’escalier de chaque côté. Au fond du porche, deux portes en métal ouvré s’ouvrent sur un vestibule situé à mi-​chemin entre le sous-sol et le rez-de-chaussée. Le porche ouvert en pierre est formé de deux colonnes à chapiteau et de deux pilastres qui supportent une voûte cintrée sur­mon­tée d’un tympan où un bas-relief sculpté représente Marguerite Bourgeoys et des enfants, encadrés à gauche par les tours du fort de la montagne1. et à droite par une représentation de l’école-étable, première Maison mère de la Congrégation. L’édifice est couronné par une corniche proéminente avec un fronton orné du monogramme de la Vierge Marie (les lettres A et M entrelacées2), surmonté d’un aigle et encadré de volutes. La mention « École normale » était jadis gravée au-dessous.

 

Entrée principale en façade de l’édifice
 

 

Bas-relief sculpté représentant Marguerite Bourgeoys et des enfants, encadrés à gauche par les tours du fort de la montagne et à droite par une représentation de l’école-étable

 

Corniche proéminente couronnant l'édifice. La mention « École normale » était jadis gravée au-dessous

 

En façade, les fenêtres vont en diminuant avec les étages, et les plus grandes, celles du rez-de-chaussée, mesurent 48 pouces sur 120. Elles sont rectangulaires au sous-sol et au deuxième étage, et dotées d’un arc en plein cintre au rez-de-chaussée et au premier étage. Au rez-de-chaussée, le léger cordon qui surmonte l’arc en plein cintre des fenêtres joint la fenêtre voi­sine à la base et vient s’appuyer sur un cul-de-lampe en forme d’écu. Aux angles supérieurs du bâtiment, des reliefs représentant la croix rappellent le caractère religieux de l’édifice.

 

Léger cordon qui surmonte l’arc en plein cintre des fenêtres du rez-de-chaussée et joint celui de la fenêtre voi­sine à la base en s’appuyant sur un cul-de-lampe en forme d’écu

 

Reliefs représentant la croix aux angles supérieurs du bâtiment

Les deux faces latérales qui comportent sept travées de deux fenêtres jumelées et l’arrière du bâtiment proposent exactement le même vocabulaire architectural que la façade. On remar­quera cependant quelques variantes à l’arrière : des fenêtres aux deux extrémités du rez-de-chaussée et du premier étage qu’on ne trouve nulle part ailleurs ; des portes qui s’ouvrent sur de longues galeries accrochées à ces deux étages.

 

Arrière de la Maison mère

La construction présente un large bandeau de pierre de taille qui sépare les fondations de la partie en brique chamois de l’immeuble. Aussi fait de béton armé, l’édifice a été conçu pour être à l’épreuve du feu. L’extérieur du bâtiment a subi assez peu de modifications au cours des années.

 

L'intérieur s'adapte aux besoins du moment

À l’intérieur de l’édifice, les classes, la salle d’études, le cabinet de sciences et les chambres sont disposés symétriquement de chaque côté d’un corridor central, ce qui permet à toute la lumière possible d’entrer par les fenêtres.

 

Chapelle

Une chapelle occupait autrefois le premier étage de l’aile est. Une statue de Notre-Dame-des-Écoles y est disposée le 19 juillet 1915, et la chapelle est bénite le 7 octobre suivant. Des verrières sont mises en place le 30 mars 1958. Chacune d’elles représente un symbole des quinze mystères du rosaire. Une table de communion en fer martelé orné de motifs en bronze a été installée en 1960. L’autel et l’ambon sont de noyer blanc et ornés de sculptures de céra­mique réalisées par soeur Cécile Marois. Les motifs de l’autel décrivent les sacrifices de Melchisédech et de la Cène, alors que l’ambon présente le glaive de la parole. En 1965, le premier orgue, en provenance de la rue Saint-Jean-Baptiste, a été remplacé par un orgue Casavant. Au milieu des années 70, la chapelle a fait place à des espaces de bureaux.

 

Salle de réception

Le premier étage de l’aile ouest est occupé par une salle de réception dotée d’une petite scène. Le rez-de-chaussée quant à lui est utilisé pour la salle de récréation et le réfectoire.

 

Salle de récréation

Au fil du temps, la vocation de l’édifice change. L’École normale Notre-Dame-de-Montréal ferme ses portes en 1969. De grands travaux de rénovation sont entrepris pour accueillir la Notre Dame Secretarial School en 1970 (l’école sera rebaptisée Collège de secrétariat Notre-Dame/Notre-Dame Secretarial College en 1980). S’y installe aussi en 1973 la Maison géné­ralice, soit l’Administration générale et divers services qui lui sont rattachés tels que l’impri­merie et le Service des archives. Comme la chapelle d’origine a été convertie en bureaux, une ancienne classe devenue espace consacré héberge maintenant la nouvelle chapelle. Les salles de classes ont également été transformées en bureaux et salles de réunions.

Depuis 2005, l’édifice abrite la huitième Maison mère de la Congrégation de Notre-Dame. La majorité des locaux ser­vent toujours de bureaux, et les anciennes chambres de pensionnaires sont utilisées à diverses fins : bibliothèques, salles de séjour, etc. Un des parloirs est désor­mais un petit oratoire où l’on peut se recueillir devant les cendres du cœur de Marguerite Bourgeoys. Un nouvel ascenseur a été ajouté en 2012-2013.

La huitième Maison mère est aussi la résidence de sœurs regroupées en tant que com­munauté internationale. Elle accueille également les sœurs de tous les milieux de la Congrégation qui sont de passage à Montréal ou qui participent à des rencontres internationales.

 

Oratoire

 
 

Centenaire et encore jeune

L’histoire d’un bâtiment transparaît souvent dans ses transformations physiques. L’extérieur du 2330, rue Sherbrooke Ouest a relativement peu changé au cours du temps : celui-ci peut ainsi témoigner activement du style architectural Beaux-Arts à Montréal. Il constitue égale­ment une part de la mémoire de la Congrégation Notre-Dame et de son importance dans l’histoire de Montréal depuis 1913 jusqu’à aujourd’hui. Si l’édifice fête son centenaire cette année, on peut dire qu’il ne fait pas son âge !

 

Photo récente


Références

  1. Visibles sur la rue Sherbrooke, les deux tours de pierre qui faisaient partie des fortifications rappellent la mission de la Montagne où les sœurs enseignaient aux Amérindiens dans l'une des tours et demeuraient dans l'autre. [retour au texte]
  2. Les lettres A et M sont l’acronyme de l’expression latine Auspice Maria signifiant « sous la protection de Marie ». Voir : http://www.cnd-m.org/100/fr/blason.php [retour au texte]
 

Bibliographie

Biographical Dictionary of Architects in Canada, « MARCHAND, Jean Omer (1872-1936) » : http://dictionaryofarchitectsincanada.org/architects/view/1463 (page consultée le 18 janvier 2012).

Bisson, Pierre-Richard, « J.-O. Marchand : le goût Beaux-Arts », Continuité, no 31, 1986, p. 15-19.

Bisson, Pierre-Richard, « Un monument de classe internationale : La maison-mère de la Congrégation Notre-Dame », ARQ Architecture Québec, no 31, 1986, p. 14-21.9

Paré-Julien, Jérémie, Façades of Jean-Omer Marchand’s Buildings for the Notre-Dame Congregation in Montreal : Influence and Collective Memory in Architecture, Mémoire de maîtrise du Département d’histoire de l’art de l’Université Concordia, 2011 : http://spectrum.library.concordia.ca/36313/1/Par%C3%A9-Julien_MA_S2012.pdf (page consultée le 18 janvier 2012).

Pérusse, Johanne, J.-O. Marchand, premier architecte canadien diplômé de l’École des Beaux-Arts de Paris et sa contribution à l’architecture de Montréal au début du vingtième siècle, Mémoire de maîtrise du Département d’histoire de l’art de l’Université Concordia, septembre 1999 : http://www.collectionscanada.gc.ca/obj/s4/f2/dsk2/ftp01/MQ43680.pdf (page consultée le 18 janvier 2012).

Pinard, Guy, Montréal, son histoire, son architecture, Montréal, Éditions du Méridien, 1991.

Documents du Services des archives de la Congrégation Notre-Dame :

 
 

Que font les
sœurs de la
Congrégation
de Notre-Dame
en 2025 ?