Par Nelia Palma
Recherche photo : Josée Sarrazin
En 1668, dans un quartier de Pointe Saint-Charles appelé Saint-Gabriel, Marguerite Bourgeoys ouvre l’Ouvroir de la Providence dont la mission est d’enseigner aux jeunes femmes de la colonie naissante les compétences nécessaires pour gagner leur vie : « C’est dans cette petite ferme, où l’on peut allier les travaux d’intérieur et ceux des champs, que Marguerite décide donc […] d’accueillir quelques filles pauvres pour leur offrir une formation chrétienne et une préparation à la vie1. »
Faisons maintenant un saut jusqu’au début du 20e siècle : Montréal est alors une ville très animée qui compte 270 000 habitants.
Ses secteurs économique et financier font preuve de prospérité :
1900 – | Fondation du Mouvement Desjardins |
1903 – | Début de la construction de la Bourse de Montréal sur la rue Saint-Fançois-Xavier |
1906-1909 – | Construction à Montréal de l’ancien édifice de la Banque canadienne de commerce |
1907 – | Transfert du siège social de la Banque royale du Canada de Halifax à Montréal. |
Son secteur industriel est en plein essor :
1901 – | Fondation de la Montreal Light, Heat and Power Company |
1902 – | Fondation de l’Alcan |
1905 – | Fondation de la Dominion Textile Inc. |
1909 – | Fondation de la Canadian Car and Foundry Company |
1917 – | Fondation de l’Abitibi Power and Paper Company |
1918 – | Fondation de la Canadian National Railway2. |
Cette expansion dynamique crée le besoin de personnel administratif qualifié.
En 1907, consciente de ce besoin pressant, la Congrégation de Notre-Dame ouvre sa première « classe commerciale ». Sœur Sainte-Catherine-du-Rosaire (Ann Maria Cooke) enseigne la dactylographie à cinq adolescentes dans la classe de huitième année de l’école Saint-Charles de Pointe-Saint-Charles.
Première classe commerciale, école Saint-Charles
À cette époque, les jeunes filles de cet âge n’avaient souvent pas d’autre choix que de travailler dans des usines où elles étaient exploitées et mal payées. Sœur Sainte-Catherine-du-Rosaire s’engage à améliorer la condition des femmes en leur permettant de subvenir à leurs besoins3.
En 1909, peu après sa fondation, l’École d’enseignement supérieur (en anglais : Notre Dame Ladies College), un établissement bilingue installé dans la Maison mère sise au 3040, rue Sherbrooke Ouest et affilié à l’Université Laval pour l’enseignement supérieur des arts et des sciences aux jeunes filles de Montréal, invite la « classe commerciale » à venir y emménager.
Outre la dactylographie, la section des affaires et du commerce de l’École d’enseignement supérieur offre les cours suivants : la tenue de livres, les pratiques commerciales, la banque, la correspondance d’affaires, la calligraphie, la géographie commerciale, la sténographie, l’indexage et le classement, la copie de lettres et la multiplication de documents par stencil4.
Sœur Sainte-Catherine-du-Rosaire, CND
École d’enseignement supérieur/Notre Dame Ladies College à la Maison mère de la rue Sherbrooke
Une brochure envoyée aux étudiantes potentielles décrit en ces termes la méthode d’enseignement de la section commerciale : « Le temps nécessaire pour compléter la formation dépend des qualifications acquises antérieurement par l’étudiante et de son application. On apporte une attention particulière à chaque étudiante5. »
Au courant des normes élevées d’excellence de cette école commerciale, de ses méthodes d’enseignement novatrices et de ses équipements à la fine pointe de la technologie, les entreprises montréalaises ne tardent pas à offrir à ses élèves des postes intéressants et bien rémunérés.
En 1922, l’École d’enseignement supérieur s’affilie à l’Université de Montréal nouvellement créée.
Au début, le nombre d’inscriptions à la section commerciale augmente régulièrement :
1909 – | 18 |
1910 – | 25 |
1916 – | 86 |
1919 – | 154 |
1926 – | plus de 200 |
En 1926, l’École d’enseignement supérieur emménage sur l’avenue Westmount dans un nouvel édifice et prend le nom de collège Marguerite-Bourgeoys. Toutefois, la section commerciale demeure à la Maison mère et devient une école indépendante. Elle garde le nom de Notre Dame Ladies College, mais en raison de son emplacement, c’est sous celui de « Mother House » qu’on la connaîtra mieux.
Édifice abritant le collège Marguerite-Bourgeoys et l’Institut pédagogique
Toutes les directrices ayant succédé à sœur Sainte-Catherine-du-Rosaire après son décès en 1935, de même que leurs assistantes, ont eu à cœur de promouvoir des idéaux professionnels élevés tels que la loyauté, l’honnêteté, l’intégrité et la fiabilité. Elles ont aussi contribué à leur façon à la continuation d’un enseignement de qualité, à l’utilisation d’une technologie de pointe ainsi qu’à la préparation intellectuelle, morale et sociale des étudiantes à la complexité du monde des affaires.
Sous la direction de sœur Sainte-Catherine-de-Palma (Mary Cameron), de 1935 jusqu’à sa mort en 1962, l’école commerciale connaît un franc succès. Des changements importants sont apportés afin d’assurer son développement.
Sœur Sainte-Catherine-de-Palma
C’est au début du mandat de sœur Sainte-Catherine-de-Palma que l’école prend le nom de Notre Dame Secretarial School. Elle le conservera jusqu’en 1980 au moment où elle est rebaptisée Collège de secrétariat Notre-Dame/Notre-Dame Secretarial College pour satisfaire aux exigences de la loi 101 récemment adoptée. Il est toutefois bien connu que tout au long de son existence — même après son emménagement en 1970 dans l’édifice de l’École normale — on l’appellera affectueusement « Mother House ».
Ayant à cœur l’amélioration des conditions de vie des personnes défavorisées, sœur Sainte-Catherine-de-Palma instaure la pratique d’activités de bienfaisance telles que la distribution de paniers de Noël, une tradition perpétuée longtemps après la fin de son mandat.
Au cours de son mandat de six ans (1962-1968), la troisième directrice, sœur Sainte-Catherine-Miriam (Myrtle Brennan) apporte d’importants changements structuraux à l’école. On fait ainsi l’acquisition d’espace supplémentaire et on entreprend des travaux de rénovation considérables afin de l’équiper des installations les plus modernes. Elle est constituée en corporation en 1966.
En 1968, lorsque sœur Sainte-Catherine-Miriam démissionne pour des raisons de santé, sœur Patricia Landry (sœur Sainte-Alice-Miriam) est désignée pour la remplacer. Pendant son mandat de dix-huit ans, elle veillera à ce que la Notre Dame Secretarial School réalise pleinement son potentiel. Que les étudiantes de la « Mother House » aient pu obtenir un diplôme collégial du ministère de l’Éducation représente sans doute la contribution la plus importante de sœur Patricia à l’avancement des jeunes filles — surtout dans le contexte de l’éducation à cette époque.
À la fin des années 1960, le rapport Parent apporte d’importants changements dans le système d’éducation. Il vise entre autres à ce que tous les étudiants aient accès à diverses formes d’éducation postsecondaire, de formation professionnelle et de préparation à la vie, peu importe leur appartenance sociale ou leur région géographique. En 1967, le ministère de l’Éducation commence à mettre en œuvre les recommandations du rapport en ouvrant les collèges publics communément appelés CÉGEPS6.
Sœur Patricia Landry, CND
Demeurer un chef de file tout en se conformant aux nouveaux règlements du Ministère nécessite de nouveau des changements majeurs. En 1969, on élabore un programme tenant compte des nouvelles tendances éducatives.
Le nombre d’inscriptions augmente et le besoin d’espace se fait sentir. En 1970, le collège emménage dans les anciens locaux de l’École normale puisque celle-ci ne sert désormais plus de centre de formation pour enseignantes.
En 1972, après trois ans de requêtes, discussions, négociations et correspondance, la Notre Dame Secretarial School se voit attribuer par le ministère de l’Éducation le statut d’établissement d’enseignement de niveau collégial et ses étudiantes peuvent obtenir le diplôme d’études collégiales (DEC). De plus, comme le programme comprend une proportion élevée de cours d’enseignement général, les étudiantes sont admises facilement dans plusieurs universités. Au sujet des années précédant cette important accomplissement, sœur Patricia Landry mentionne la contribution de sœur Mary Catherine Cameron (sœur St. Donald of Mary), nièce de sœur Sainte-Catherine de Palma, qui non seulement a étudié et enseigné à la « Mother House », mais aussi en est devenue la registraire : « Nous avons travaillé ensemble pendant vingt de ces vingt-cinq années, faisant progresser l’école jusqu’à ce qu’elle atteigne le statut d’établissement d’enseignement de niveau collégial. »
Grâce à la subvention gouvernementale accompagnant la reconnaissance de son statut d’établissement de niveau collégial, le collège réduit ses frais de scolarité, entraînant ainsi une augmentation de ses inscriptions. Au milieu des années 1980, il compte 450 étudiantes. Le nombre des enseignantes, religieuses et laïques, bondit aussi au cours des années 1970 et 1980, passant de onze à quarante-cinq.
Pendant ces années, élèves et enseignantes s’engagent dans des activités sociales et culturelles au collège, à la maison et à l’étranger. Par exemple : « On donne la priorité aux besoins des personnes âgées et marginalisées, des femmes battues et de leurs enfants, des femmes vivant dans la rue. Nourriture et vêtements sont personnellement distribués par les étudiantes et le personnel7. »
On organise aussi des activités de collecte de fonds pour fournir une assistance financière aux victimes de désastres naturels dans le monde.
On le sait, les années 1980 ont été marquées par le début de la révolution technologique dans le monde des affaires. Au collège, on met donc l’accent sur les compétences informatiques avec de nouveaux cours incluant : saisie au clavier et mise en page, traitement de texte, bureautique, communications électroniques, télécommunications et gestion bureautique, comptabilité informatisée. Nous sommes loin de la calligraphie, de la copie de lettres et de la multiplication de documents par stencil.
Pour suivre le rythme de ces changements et mieux préparer les étudiantes au monde du travail de l’avenir, on équipe le collège de laboratoires informatiques ultramodernes. De plus, les enseignantes mettent à jour continuellement leurs compétences en suivant des cours de perfectionnement professionnel.
Étudiantes dans les années 1980
En 1985, le ministère de l’Éducation lance « techniques de bureau », un programme de trois ans à la fin duquel les diplômés ont le choix de s’intégrer au monde du travail ou de poursuivre leurs études au niveau universitaire.
Pendant le mandat de sœur Joyce Roberts comme directrice — de 1986 à 1997, année de la fermeture du collège — , plusieurs changements se produisent dans la société. Parmi les plus importants, soulignons la situation économique difficile tout au long des années 1980. Notons aussi l’ouverture par le ministère de l’Éducation de centres où les diplômés du secondaire peuvent acquérir en un an des compétences monnayables en secrétariat8.
Comme l’explique sœur Roberts : « Tous les collèges éprouvaient des difficultés avec le programme de techniques de bureau dans les années 1980 et 1990. Les collèges privés […] ont mis sur pied une grande variété de programmes. »
Sœur Joyce Roberts, CND
Parmi les étudiantes inscrites au cours des années 1990, on remarque de moins en moins de diplômées du secondaire et de plus en plus d’étudiantes adultes ou de femmes de retour sur le marché du travail qui s’inscrivent à des cours de perfectionnement professionnel ponctuels et de brève durée. Ces dernières comprennent des femmes ayant déjà reçu une formation collégiale ou universitaire, des femmes au foyer et des femmes avec une expérience professionnelle. D’autres se recyclent à la suite de la perte d’un emploi.
Nul doute, le monde moderne des affaires avec son rythme accéléré d’innovations techniques rattrape et même dépasse le vénéré collège, fortement affecté par le coût élevé de la mise à jour des ordinateurs et des logiciels. L’éclat et le dynamisme de sa vision originale commence lentement à diminuer. Au début du semestre d’automne 1994, aucune nouvelle étudiante n’est admise au programme de trois ans. Seuls sont conservés le programme de deux ans menant à un diplôme pour les jeunes filles ayant terminé leur parcours collégial ou universitaire, et un programme en trois sessions menant à un certificat pour les étudiantes adultes. Cependant, malgré ces changements, il est décidé — avec de profonds regrets et après avoir exploré toutes les possibilités — que l’institution depuis longtemps reconnue et respectée fermerait ses portes à la fin de l’année scolaire 1996.
Poussées par la force de leur volonté et leur sentiment de loyauté envers leur école, deux enseignantes laïques essaieront courageusement de la maintenir en activité sous le nom de « Collège Mother House » jusqu’en 2008. De fait, le rapport officiel de la Chambre des Communes en date du 25 avril 2007 inclut un message de félicitations de la part du député de Westmount-Ville-Marie lors du centenaire du collège mentionnant le thème de cet anniversaire mémorable : « Cent ans de solidarité féminine9. »
C’était là un thème constant et récurrent !
Une publicité de 1998
Sœur Joan Foliot, directrice des études de 1981 jusqu’à la fermeture du collège, se rappelle avec joie cet événement marquant : « Ma mère a obtenu son diplôme en 1921. Pendant plusieurs années, elle a été la plus âgée des diplômées et, lors de l’anniversaire du collège, on l’a honorée d’une mention honorable. »
Nous retenons plusieurs éléments de l’étude de cet établissement qui a marqué l’histoire de l’éducation des jeunes filles au Québec.
Au cours de ses 90 années d’existence, grâce à la qualité de son éducation, cette école commerciale a préparé des milliers de femmes à prendre leur juste place dans la société et dans le monde des affaires10. Comme le dit sœur Joyce Roberts : « Au début du vingtième siècle, les programmes commerciaux ont joué un grand rôle dans l’amélioration de la situation des femmes. Les possibilités qui s’offraient à elles dans les années 1980 étaient beaucoup plus nombreuses. Familiarisées avec l’ordinateur depuis l’enfance, elles avaient en outre un meilleur accès aux études supérieures. Avec raison, les jeunes femmes désiraient conserver le choix entre plusieurs options. »
En effet, nous trouvons au cœur de l’histoire du collège les idées d’éducation libératrice et de solidarité avec les femmes, idéaux chers à la fondatrice de la Congrégation, sainte Marguerite Bourgeoys — qui les a incarnés de façon exemplaire — et aux sœurs qui ont suivi ses pas.
Soulignons aussi que ses diplômées ont occupé des postes variés incluant l’administration des affaires, l’éducation, la politique, le droit et la traduction. Sœur Patricia Landry explique dans une entrevue disponible sur le site web Croire et Vouloir
http://www.archivesvirtuelles-cnd.org/node/1303 :
« Nous avons toujours encouragé nos étudiantes à poursuivre leurs études. Nous leur disions d’aller travailler, de commencer par suivre des cours du soir, puis ensuite d’entrer à l’université. »
Plus tôt cette année, une ancienne diplômée a téléphoné à la Maison mère actuelle pour s’informer du collège. C’est avec tristesse qu’elle a appris la fermeture de son alma mater. Ayant mené une carrière épanouissante au service d’une organisation internationale établie à Montréal, elle a exprimé une reconnaissance sincère pour la qualité de l’éducation qu’elle y avait reçue.
Mais ce n’est pas tout.
En plus de l’éducation, l’héritage laissé par le collège comprend aussi des valeurs importantes transmises à ses étudiantes :
Nul doute, ces trésors sans prix transmis aux étudiantes du collège ont été et sont toujours appréciés et appliqués de diverses façons pour le bien de nos communautés, de notre société et du monde entier.
Tenant compte de ses humbles débuts à l’école Saint-Charles, le Notre Dame Secretarial College a parcouru beaucoup de chemin. Toutefois, fidèle à la vision de sainte Marguerite Bourgeoys, il a toujours maintenu son engagement en faveur d’une éducation de qualité et de l’amélioration de la condition des femmes.
Admirable et exemplaire héritage !
Logo du Notre Dame Secretarial College
J’aimerais remercier sincèrement sœur Joan Foliot, CND, sœur Patricia Landry, CND, et sœur Joyce Roberts, CND, pour leur appui généreux à la rédaction de cet article. Leurs commentaires l’ont considérablement enrichi. Je voudrais exprimer aussi ma reconnaissance au Service des archives de la CND qui m’a fourni de précieux documents et photographies. Enfin, toute ma reconnaissance à sœur Jeanne Bonneau, CND, pour sa grande compétence en révision.
Nelia Palma
Notre Dame Secretarial College 1907-1982.
Susan Campbell et Sharon Hudson, Notre Dame Secretarial College. Continuing the Tradition of Women’s Education, 1995.
Frances McCann, CND, et Patricia Landry, CND, Notre Dame Secretarial College « The Mother House », série Héritage, 1996, www.heritagecnd.org.
Louise Côté, CND, En tenue de service. Marguerite Bourgeoys et la mission, Montréal, CND, 2007.
Kathleen Coughlin Dunn, « The Motherhouse and the Business of Closing », Montreal Catholic Times, avril 1996.
http://en.wikipedia.org/wiki/Timeline_of_Montreal_history
http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=2869497&Language=E&Mode=1